Découvrez : « Chroniques d’une tempête »

Par Aurélie Seguin

« Souffrance au travail : Chronique d’une tempête »

sous la direction d’Isabelle BORDAT

avec la contribution de Laure MENEGATTI · Aurélie SEGUIN Patricia ALBERTINI · Cécile KLEIN

Le 26 février dernier est paru « Chroniques d’une tempête – Souffrances au travail », un livre sous la direction d’Isabelle Bordat, psychologue, psychothérapeute formée aux TCC aux éditions Marie B. Cet ouvrage est le résultat d’une collaboration sur deux années autour de la thématique de la souffrance au travail. Le choix de ce thème vient du souhait pour Isabelle de rendre compte d’une réalité qu’elle a pu côtoyer lors de son expérience en clinique spécialisée en santé mentale, lorsqu’elle animait un atelier autour de la vie professionnelle et du burn-out pendant près de 10 ans. Atelier que j’ai pu animer par la suite pendant 2 ans. A partir des témoignages mis en récits des autrices et contributrices, ce livre permet de voir une mosaïque de portrait autour d’une thématique commune. Une partie théorique vient étayer la narration. Le livre revisite le lien au travail, il interroge également le regard porté sur soi dans des périodes de vie parfois charnières. Une boite à outils, en fin d’ouvrage, permet de donner des conseils pratiques.

Vous trouverez dans la suite de cet article des extraits du livre :

Bonne lecture !

 

Personnage de Sandra First – Surveillante pénitenciaire

« Le lendemain, après avoir récupéré sa moto et exploré les environs, elle se laisse convaincre et vient s’installer pour assister au spectacle et à la soirée organisée par Suzanne. Elle ne comprend pas tout, mais elle sent une douleur monter en elle lorsque l’artiste raconte ce qu’elle a vécu, et bientôt, la gorge nouée, des larmes coulent sans bruit sur ses joues.

Lorsque les applaudissements s’éteignent, malgré la chaleur et la convivialité qui règnent, Sandra reste en retrait. Elle est comme un robot, répond aux différentes demandes mais dans sa tête, c’est la tempête. Elle écoute les conversations, observe les gestes des uns et des autres, elle entend des rires, elle voit les sourires, les grimaces et autres expressions qui s’affichent sur les visages, sent les odeurs alléchantes qui viennent de la cuisine. Mais elle est absente, comme coupée d’elle-même. Elle se sent spectatrice d’un film qui se déroule comme en «réalité virtuelle».

Elle n’entend bientôt plus que cette petite voix, sa propre voix qui l’interroge : Je ne sais plus vraiment pourquoi j’ai accepté de dîner avec tout ce monde, je voulais être seule pour ne plus penser! Vider ma tête! Me recentrer sur
moi. Je ne veux pas répondre à toutes ces questions, faire semblant, sourire, être agréable. Mais qu’est-ce qui cloche chez
moi? Je n’ai plus d’envie.

Elle répond mécaniquement «Oui merci c’est délicieux», «je suis surveillante pénitentiaire…», «non je ne suis que de passage…».

Elle constate : ces personnes sont adorables, bienveillantes, mais quelque chose ne me permet pas de m’ouvrir, de parler de moi, de

ce que je traverse en ce moment, quelqu’un vient de parler de «burn-out», dans la définition donnée, je me reconnais.

Elle ne peut que constater que depuis quelque temps ce métier qu’elle aime ne lui donne plus autant d’énergie qu’avant. Elle ne comprend plus les décisions prises par la nouvelle direction, on leur demande toujours plus avec de moins en moins de moyens, les plannings sont modifiés du jour au lendemain. On subit la surpopulation carcérale et per- sonne ne propose une solution, les quotas de personnel ne sont plus respectés au détriment des règles de sécurité, mais ça, la direction s’en fiche, ce n’est pas la directrice adjointe qui gère la violence et le mécontentement des gars à trois dans une cellule! »

souffrances au travail - article blog - dessin personnage Sandra First
article blog - souffrances au travail - personnage Pierre Soulage

Personnage de Paul Soulage – Médecin généraliste en zone rurale

« La salle d’attente est pleine : ça tousse, ça renifle, ça mouche. Un bébé joue aux cubes et les lancent sous le regard courroucé et exténué de sa mère. Une femme se lève et pousse devant elle un garçonnet qui compresse un mouchoir ensanglanté sur son visage.

— Je n’ai pas rendez-vous mais quand y a pas école, je le tiens plus ! Il a fallu qu’il saute du haut de la grange !

L’enfant affiche un air penaud, mais plus de peur que de mal, trois points de suture sur son arcade, une vérification de la couverture vaccinale et cette première blessure sera bien vite oubliée.

Il passe aux suivants. L’horloge égrène ses minutes et lui rappelle qu’il a déjà pris beaucoup de retard. Ça le stresse : il déteste ça ! Pendant qu’il rédige l’ordonnance sur son ordinateur, un homme se rhabille et l’interroge.

— Vous avez rempli le dossier Maison Départementale des Personnes Handicapées pour l’aîné ?

— Il faut qu’il vienne me voir, je ne peux pas renseigner le certificat sans l’avoir vu.

— Y peut pas, y veut pas sortir de sa chambre, docteur !

— Je passerai dans la semaine, et on verra ce qu’on peut faire, mais l’idéal serait une hospitalisation, nous en avons déjà parlé.

— Pas question d’aller chez les fous ! Ça y passera avec le temps !

— Je ne crois pas, non. Il a besoin d’un traitement adapté et de soins spécialisés, il souffre au minimum d’un trouble anxieux qui risque de s’aggraver sans une prise en charge spécifique, c’est une vraie maladie, vous savez. Bon, nous en reparlerons tranquillement lorsque je passerai chez vous. Je vous expliquerai en détail. Tenez, en attendant, prenez cette brochure, vous pourrez la lire ensemble et mieux comprendre les enjeux. Et prenez soin de vous également.

19 h 30. L’après-midi s’achève. Il reste les télétransmissions à faire, deux petits courriers et je rentre à la maison, cette pensée le réjouit. La connexion est mauvaise, impossible de les transmettre à la caisse
d’assurance maladie. Il
s’énerve sur son ordinateur et après le site qui
est souvent saturé en n
de journée. Foutue informatique! Le message
libérateur s’affiche enfin
« télétransmission complète ». La semaine précédente, c’était son boîtier de carte vitale qui ne fonctionnait pas. Il avait perdu un temps fou avec l’opérateur de télémaintenance et avait ni par en commander un nouveau. Ces petits détails techniques ont l’art de le mettre en rogne et hors de lui. Ils viennent s’ajouter à la longue liste de ses agacements et ruminations.

Il jette un œil à son portable pour vérifier qu’il n’a pas manqué l’appel de son confrère et futur collaborateur. J’ai perdu assez de temps, je finirai ces courriers ce week-end, se dit-il. Soudain le téléphone vibre.

— Allô? Paul Soulages à l’appareil.

Oui, bonsoir, c’est le docteur François Mesclun, désolé d’appeler si tard. Je te rappelle suite à notre précédente discussion au sujet du projet de collaboration.

— Ah oui, très bien, répond-il, enthousiaste et chaleureux. J’attendais ton appel. Tu as réfléchi? Tu arrives quand?

Euh… le ton est gêné. Eh bien, finalement, je ne vais pas accepter, c’est un peu perdu ton truc.

— Mon « truc » ?

Paul essaie de contenir son irritation, mais le ton est froid et cassant.

Oui, excuse-moi, je suis maladroit, ce n’est pas ce que je voulais dire. En fait, j’ai une autre proposition d’installation à Montpellier dans un cabinet pluridisciplinaire avec infirmière, kiné et trois autres confrères.

Paul enrage mais ne dit mot. Crispé, il attend la suite. François Mesclun poursuit :

Tu comprends, ce sera plus simple pour se remplacer. Je comprends ton embarras, mais je dois penser les choses en matière d’avenir, et… les Cévennes… Tu vois ce que je veux dire…

— Bon, je comprends que tu as réfléchi et que ta décision est prise, conclut-il en tentant de masquer sa déception, je n’insiste pas.

Il pressent surtout qu’il va continuer à être seul et à galérer. — OK, bon courage à toi ! On se voit à la prochaine Formation Médicale Continue. Paul raccroche rageusement, un goût de craie dans la bouche. Quel con! Mais quel con! Il ne sait si l’insulte s’adresse à lui-même ou à son confrère. Il sent monter le dégoût et la colère contre cet homme qui vient de retirer sa promesse : il ne viendra pas le seconder. Il préfère bosser dans un groupement médical en ville : moins de solitude, plus facile pour les remplacements et les gardes, plus de commodités pour la famille, une vie sociale conservée. En plus, ce type de pratique est largement encouragé par les autorités sanitaires. Il comprend, bien sûr, et se dit qu’il devrait sans doute faire pareil, mais il n’en a pas l’énergie. »

Céline Bosc – conseillère à l’emploi

« Céline explique à Myriam brièvement les derniers mois, le nouvel arrêt de travail, le binôme avec Hélène, la révélation de la faille abandonnique, l’investissement trop affectif dans le travail, le souhait de véritablement trouver sa voie, sa vocation. Ces derniers temps, elle songe à la possibilité de devenir infirmière. Par contre, la perspective du concours et des études lui semble irréaliste. Et toujours cette dimension créative qu’elle aime vivre dans l’écriture. L’atelier hebdomadaire auquel elle s’est inscrite cette année est un véritable moteur. La priorité sera dans un premier temps de mettre n à son contrat de travail. Elles discutent ensemble des démarches à suivre. Dans l’idéal, ce serait une rupture conventionnelle pour Céline. Myriam lui dit qu’elle ne pourra malheureusement pas intervenir à ce niveau, tout cela se passe avec la direction des ressources humaines à un niveau régional.

Myriam ajoute ces mots bénéfiques :

« Tout ce que je peux te souhaiter, c’est de prendre soin de toi pendant cette période. Profite de ta bulle de protection. Si ton médecin traitant t’a mise en arrêt, c’est qu’il sait que tu n’es pas en mesure de reprendre. Saisis cette chance d’avoir du temps pour remettre un peu d’ordre. Je sais que ce n’est pas facile pour toi en ce moment. Remets-toi en mouvement en douceur, n’essaie pas de vouloir en faire trop. »

Myriam a vraiment ce don d’écoute et de compréhension des autres. Elle a raison car dans le fond, elle a perçu le blocage, la tétanie dans le corps de Céline. L’idée de reprendre n’est plus une option. Il est temps de partir. Ce n’est même pas une question de salaire. Même doublé, elle ne pourrait pas y retourner.

Au moment de raccrocher, une sensation chaude se répand dans le ventre jusque dans la poitrine. Cette conversation l’a libérée. Elle perçoit à quel point son corps s’opposait à une reprise du travail, à son désir de bien faire par solidarité. Céline se détend.

Lors du rendez-vous de suivi, son médecin prolonge l’arrêt de travail. Il insiste sur le fait de bien réfléchir avant de s’en- gager dans quoi que ce soit de nouveau sur le plan professionnel. Il la met à nouveau en garde contre un mécanisme de fuite qui pourrait se reproduire, quelle que soit la voie entreprise. Il l’encourage à penser un projet à moyen, voire long terme, pour éviter la mutation, comme elle l’a déjà fait l’année précédente.

— Pour l’instant, reposez-vous, prenez du recul et surtout ne prenez aucune décision hâtive. Le moment n’est pas propice à la décision. Donnez-vous du temps pour réfléchir avant d’agir. »

Article blog - souffrances au travail - personnage Celine Bosc
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